Avec plus de 18000 « followers » sur Instagram et 139.000 abonnées sur YouTube, Clemity Jane est une des youtubeuses pionnières en matière d’expression sexuelle et de masturbation féminine en France.
Depuis 2015, Clémence Chung (son vrai nom) fait des vidéos sur les sextoys, crée des réflexions féministes et elle parle également d’éducation sexuelle. Avec un ton naturel et humoristique, elle aborde des questions encore taboues dans notre société.
Pourquoi avez-vous choisi ce nom de youtubeuse?
Calamity Jane (personnalité de la conquête de l’Ouest célèbre par sa vie aventureuse), c’est pour moi un symbole de femme forte, de femme qui a dû faire face à l’adversité pour montrer qu’elle était aussi forte qu’un homme alors que c’était très peu toléré à l’époque. C’était pour l’état d’esprit, j’aimais bien cette référence.
Pourquoi avez-vous choisi la sexualité comme sujet central de votre compte ?
Parce que déjà, au collège et au lycée, je conseillais mes amis car j’avais ma maman qui m’éduquait très bien au niveau de la sexualité et qui répondait à mes questions. Ce n’est pas tout le monde qui avait la chance d’avoir des réponses à ses questions sur la sexualité. Je me suis dit assez naturellement que je pourrais faire la même chose sur YouTube. Ça manquait aussi beaucoup sur le YouTube français. Il y a toujours très peu gens qui parlent de manière bienveillante, avec le sourire, sans parler que des maladies… Donc, je me suis dit que j’allais faire ça pour aider des gens qui ont pas forcément de quoi s’éduquer et les ouvrir à ce sujet là.
Est ce que vous pensez que votre compte YouTube est différent ?
Ma communauté est très bienveillante, très gentille, tout se passe très bien… Il y a vraiment beaucoup de gens qui sont demandeurs de contenus sur la sexualité, qui aiment être rassurés. Mes vidéos les rassurent et beaucoup me disent merci, ils me disent que grâce à ce genre de contenus, ils se sentent plus à l’aise avec leurs corps, avec leurs sexualités. Après, il y a un petit peu de haine par rapport au fait que comme je suis une femme sur Internet, il y a forcément du sexisme… Mais c’est très rare.
Dans votre vie personnelle, avez-vous ressenti des clichés sur votre rôle comme youtubeuse?
Non, je viens d’une famille qui est très ouverte d’esprit et tout le monde m’a beaucoup soutenu. Ils comprennent que, quand je suis sur YouTube, ce n’est pas pour un travail de sexe, comme si je me prostituais. Ils comprennent que je suis une conseillère. Donc, je me suis dit que j’allais faire ça pour aider des gens qui ont pas forcément de quoi s’éduquer et les ouvrir à ce sujet-là.
Est-ce que les réseaux sociaux ont entraîné une révolution pour le marché du sexe ?
Je vois que les marques viennent vers moi régulièrement et j’ai des demandes donc pour eux, c’est intéressant. Je sais que pour les marques et les boutiques, c’est très très dur de faire de la publicité et de trouver des clients parce qu’eux aussi sont limités par la censure de certains réseaux sociaux. C’est très difficile. Donc, ils retrouvent un bon canal dans ma chaîne parce que ça permet de s’adresser directement aux personnes qui sont intéressées par les sextoys, par les accessoires érotiques. Pour eux, c’est une bonne opportunité, comme ça on fait des collaborations, c’est un peu “gagnant-gagnant”, dans le sens où moi ça me permet de vivre de mon travail et, eux, ça leur permet d’avoir des nouveaux clients.
L’image des sextoys est encore très lié à un cliché de pornographie et monde un peu obscur ou est-il de plus en plus normalisé?
Oui, ça arrive un petit peu surtout depuis environ un an, je pense qu’il y a eu toute une révolution féminine au niveau du clitoris. Le fait que les femmes reprennent un peu le pouvoir, reprennent la parole aussi et arrivent à dire qu’elles ont du désir et que leur plaisir est important. Forcément, ça aide beaucoup de gens à voir ça comme une chose normale plutôt que comme une chose réservée à des gens dévergondés ou avec une sexualité particulière. Ça devient un peu plus général et c’est tant mieux, comme ça, on arrête de voir les sextoys comme quelque chose de monstrueux.
Est-ce que la France est un pays ouvert pour parler de sexualité et sextoys?
Non, pas tellement. Pas plus que des autres pays… Ça reste compliqué surtout dans les familles pour les jeunes. Les jeunes parlent entre eux mais c’est encore empreint par une association à la culture pornographique, donc ils ne vont pas parler d’une façon qui va les épanouir dans leurs vies sexuelles à eux. C’est dur de vivre sa sexualité et c’est dur d’en parler. Je sais que les gens, justement, me disent “c’est bien que t’en parles comme s’il était quelque chose de normal “ parce que ce n’est pas souvent, alors j’espère que ça va être de plus en plus le cas…
Pensez-vous qu’il y a un manque d’éducation sexuelle et que les réseaux sociaux compensent un peu cette situation?
J’espère. Heureusement maintenant avec Internet, l’information circule très vite et est accessible à tous et à toutes. Mais il faut que les gens fassent la démarche d’aller chercher des réponses pertinentes à leurs questions et, sur internet il y a de tout, il y a du faux comme il y a du vrai. Il y a autant de messages négatifs que de messages positifs. Donc, c’est encore compliqué. Le mieux évidemment, ça serait qu’il y ait des canaux qui soient proposés directement aux jeunes plutôt qu’ils aillent chercher par eux-mêmes. Cela évite qu’ils prennent le risque d’avoir des mauvaises réponses. Mais ça, ce n’est pas près d’arriver, malheureusement, le gouvernement est loin de se préoccuper de ça. Actuellement, pour avoir un peu d’éducation sexuelle, c’est environ une fois dans tout le cycle de scolarité d’un jeune et c’est insuffisant. Deux heures pour apprendre la sexualité ? On ne parle jamais de plaisir, on parle que de contraception et de protection contre les MST, c’est insuffisant. J’espère que ça sera supérieur dans le futur mais, malheureusement, je pense que ça va prendre du temps.
Pensez-vous que grâce à vous, il y a de plus en plus youtubeuses qui parlent de sexualité ?
C’est encore dur de parler de ça à visage découvert. Donc, il y a beaucoup de gens qui vont ouvrir des comptes Instagram, des blogs et qui ne vont pas à se mettre en avant personnellement. Ils ne veulent pas employer leurs vrais noms, ils ne vont pas montrer leur visage, parce que c’est un engagement important dans la vie personnelle de certains et certaines. Mais, depuis que j’ai commencé, j’en vois pas mal qui vont se lancer et je pense que ça va augmenter, mais il faut que ces gens trouvent un public et ça, ce n’est facile pour personne. Vu que YouTube sature avec beaucoup de contenus, c’est dur de se faire sa place avec cette thématique.