Situé à Plouisy, le Cours Sainte-Anne est un établissement hors contrat pour jeunes filles, de la primaire jusqu’au bac. Dispensé par les soeurs dominicaines de Fanjeaux, l’enseignement est catholique traditionaliste. Entre les murs du château de Kernabat, peu de sciences, des cours de couture et de chant et, bien sûr, aucune mention de sexualité ou de relations amoureuses. Joséphine y a vécu une partie de sa scolarité. Elle raconte.
“On n’a jamais entendu parler de sexualité là-bas. Quand je suis arrivée au lycée, ça a été compliqué pour moi. Je n’avais jamais été confronté à des personnes de sexe masculin. Je n’avais jamais eu de relations sociales ou sexuelles avec un garçon.” Joséphine* a été pendant cinq ans élève au Cours Sainte-Anne de Plouisy. Pour la jeune femme, qui a quitté l’établissement en 3e, le retour à la vie sociale et l’intégration avec les jeunes de son âge ont d’abord été compliqué. “En règle générale, j’ai fait un gros blocage. Quand je suis sortie de là, ça m’a fait bizarre d’arriver dans le vrai monde. Quand on est là bas, c’est un monde parallèle, on est très gamin, et quand on y ressort on n’a rien appris de la vie”.
“C’est moi qui ai fait l’enfant test”
De confession chrétienne, ses parents ont toujours fréquenté un milieu traditionaliste sans pour autant s’identifier comme tel. C’est d’ailleurs auprès d’autres fidèles qu’ils ont pris connaissance de l’existence du Cours Saint-Anne à Plouisy. En France les parents ont le choix de scolariser leurs enfants dans l’école qu’ils souhaitent. Ils peuvent les inscrire dans une école sous contrat publique ou privée ou dans une école hors contrat. L’enseignement dispensé dans les établissements hors contrat ne s’appuie pas toujours sur le programme scolaire que les écoles de l’académie française ou du diocèse de France suivent. Le Cours Sainte-Anne à Plouisy dans les Côtes d’Armor fait partie de ces écoles singulières. Les tarifs à l’année sont échelonnés sur trois régimes. Pour ce qui est de l’enseignement secondaire, ils sont autour de 1600 euros pour une externe, 2300 pour une demi-pensionnaire et 3500 pour une pensionnaire.
“Pour mes grands frères et soeurs c’était gage de punition “si vous n’êtes pas sages on vous envoie à Kernabat” raconte elle en souriant. A l’époque, Joséphine a des problèmes avec des élèves de sa classe dans une école privée classique. Ses parents décident de tenter un système différent. “Au final c’est moi qui ai été « l’enfant test »” livre la jeune femme.
Âgée de 10 ans, Joséphine fait donc son entrée en CM2 à l’école de Kernabat. Durant les cinq premières années au cours Saint-Anne, elle sera élève et pensionnaire. Mais, à l’inverse de ses camarades, Joséphine ne reçoit pas la même éducation à l’école qu’à la maison. Chez elle, elle se sent plus libre, porte des pantalons, se maquille, s’épile les jambes et pratique même une activité extra-scolaire : le basketball. A l’école, c’est tout autre chose.
Docilité, pureté, simplicité et foi
Sur le site de l’école, la rubrique enseignement ne laisse que peu de doute sur la vision de la société et du rôle de la femme transmis par les dominicaines enseignantes de Fanjeaux. “Étant principalement réservée aux filles (nos écoles) tiennent compte de la nature féminine et les préparent à devenir de vraies maîtresses de maison”. Au programme scolaire déjà particulier, s’ajoutent bien sûr le catéchisme mais aussi d’autres enseignements tels que la couture, le chant et les tâches ménagères.
Toutes les élèves participent à la vie en communauté à l’école. “Le matin si on arrivait plus tôt que les cours on allait aider en cuisine ou on ramassait les feuilles mortes dans la cour” se rappelle Joséphine. “Tout n’a pas été négatif. Dans cette école j’ai appris à me débrouiller seule loin de chez moi et on m’a également enseigné la rigueur”, tempère la jeune femme.
C’est en 5e que l’adolescente commence à entrer en conflit avec les enseignantes. “Tu finis par te rendre compte que tu n’as pas ta liberté de penser.” L’inscription dans un cours de basket a été une étape cruciale pour gagner en maturité et s’affirmer en tant qu’adolescente. Au premier contact avec des jeunes de son âge, Joséphine est tétanisée. “Je me suis cachée derrière une voiture, j’ai appelé ma mère. Je lui ai dit “il y a des gens partout, je ne pourrais jamais y arriver”.
Contactées par la rédaction, les enseignantes disent prôner une éducation “essentiellement religieuse qui passe par l’étude des grands textes religieux et littéraires”. “La docilité, la pureté, la simplicité et la foi” sont les quatres valeurs attendues des élèves, comme il l’est inscrit sur leur site internet.
Dans la cour de récréation : interdiction de se rassembler en groupe pour discuter. Tout est fait pour encadrer au maximum la vie des jeunes filles. “Jusqu’en terminale, les élèves sont obligées de jouer dans la cours à la teck ou à la corde à sauter”, illustre Joséphine. Interdiction de parler dans les dortoirs, ou encore de se laver les cheveux. Le courrier est aussi filtré, il est interdit de recevoir des lettres de garçons.
Éclairage :
« Intégrisme : Attitude et disposition d’esprit de certains croyants qui, au nom du respect intransigeant de la tradition, se refusent à toute évolution. » Larousse « Traditionalisme : Attachement aux coutumes et aux croyances transmises par la tradition. » Larousse
Le 11 octobre 1962, l’Eglise catholique lance le concile Vatican II. Ce texte a pour objectif de moderniser l’institution religieuse, et symbolise son ouverture à la culture contemporaine et l’acceptation de la liberté de culte. L’écriture des seize textes de ce concile s’achève le 8 décembre 1965.
Les enseignantes dominicaines de Fanjeaux appartiennent au mouvement des traditionalistes qui refusent le concile Vatican II. Parmi les personnalités qui symbolisent la scission entre l’Eglise moderne et l’Église traditionaliste, on compte Monseigneur Lefebvre. Cet ancien archevêque de Dakar fonde en 1970 la fraternité sacerdotale Saint-Pie X, en référence au pape Pie X. Si Marcel Lefebvre a d’abord accepté les déclarations du concile réformateur, il rejette publiquement le texte en 1974 et se concentre sur sa fraternité religieuse.
L’une des caractéristiques les plus représentative de cette fraternité est sa manière de célébrer la messe. Comme au Moyen-Âge celle-ci est dite en latin, et le prêtre tourne le dos à ses fidèles.
Catéchisme, couture et créationnisme
C’est une certitude, les dominicaines enseignantes de Fanjeaux ne dispensent aucune éducation à la sexualité. L’école défend ce choix afin de préserver ces jeunes filles et selon une enseignante de Kernabat, “notre positionnement concernant ce sujet est le positionnement de l’Eglise”.
Ce sont elles qui décident des matières et des chapitres à enseigner. Dans le programme, aucune mention de la théorie de l’évolution. “On apprend que Dieu a créé l’homme, et que la femme est née de la côte d’Adam. On avait beaucoup de catéchisme, des langues, des matières littéraires, du latin, du grec, des maths, mais pas de physique ni de chimie”, décrit Joséphine.
Très éloignées du programme de l’éducation nationale, les élèves du Cours Sainte-Anne ne passent pas le Brevet des collèges, et la filière littéraire est la seule option pour les lycéennes. Si l’enseignement est presque exclusivement délivré par des sœurs, des professeurs laïques assurent parfois certains cours. Certaines activités, comme la couture, sont assurées par des mères d’élèves. Le programme est resté inchangé depuis la création des premières écoles de la fraternité en 1975.
Quid du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, que sont tenues de respecter les écoles hors contrat ? Comme le souligne la loi, celui-ci doit notamment permettre aux élèves de “s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de réussir la suite de leur parcours de formation, de s’insérer dans la société où ils vivront et de participer, comme citoyen, à son évolution”. Plus spécifiquement, il “ouvre à la connaissance, forme le jugement et l’esprit critique, à partir d’éléments ordonnés de connaissance rationnelle du monde”.
Les écoles telles que le Cours Sainte-Anne, bien que hors-contrat, sont elles aussi soumises à une inspection comme le veut la loi. Questionnée à ce sujet, l’inspection académique des Côtes-d’Armor s’est montrée incapable de confirmer que l’école de Kernabat était bel et bien inspectée, renvoyant constamment vers le diocèse de Saint-Brieuc et de Tréguier. Celui-ci n’a pourtant aucun lien avec ces école hors-contrat, en rupture avec l’église catholique.
L’école de Kernabat a affirmé, lors d’un appel téléphonique, être sujette à des inspections, “Nous dépendons de l’académie de Rennes, le gouvernement est habilité à nous soumettre à des inspections. Celles-ci sont très variables, nous pouvons être inspecté une fois par an comme une fois tous les 5 ans”, explique une soeur de l’école de Plouisy. Selon elle, le cours Saint-Anne a pour la dernière fois été inspectée il y a deux ans.
Chemin de croix ou sortie de secours
Au terme de leur scolarité, de nombreuses élèves de l’école de Kernabat suivent la voie auxquelles elles ont été préparées : devenir des mères et maîtresses de maisons chrétiennes. “Beaucoup ne font pas d’études, se marient très rapidement”, explique Joséphine. Cette dernière tient à préciser qu’elle n’a jamais eu le sentiment d’être forcée à devenir femme au foyer, même si l’éducation apportée penchait nettement vers cette orientation.
“A la sortie, il y en a aussi beaucoup qui partent en cacahuète. Après avoir été contrôlé de cette manière, elles font n’importe quoi quand elles retrouvent de la liberté dans leurs faits et gestes”. Joséphine se dit chanceuse d’avoir reçu une éducation différente de celle inscrite à l’école.
“Ma maman est assez ouverte mais celles qui vivent à l’école comme à la maison ne rencontrent aucune difficulté à supporter cette éducation. Pour moi, c’était dur car je vivais dans deux sphères parallèles”. Joséphine a obtenu un Bac Littéraire en 2018. Elle suit aujourd’hui des études en sciences sanitaire et sociale. Son emploi du temps se partage entre les cours, les amis, sa famille et son copain.
Canelle Corbel et Achille Dupas
*Le prénom a été modifié
Écoutez le témoignage de Joséphine en podcast :